•  Quelques semaines plus tard, une nouvelle lettre de Clarence arriva. Enjoy craignit que son père ne l'empêche à nouveau de la lire, mais cela se passa différemment de ce à quoi il s'attendait.

    En effet celui-ci n'y porta pas beaucoup d'attention, il jeta juste un rapide coup d'oeil amusé sur le "contenu", avant de tendre la lettre à son fils.

    « Voici une oeuvre d'art », dit-il avec ironie.

    Interloqué, Enjoy regarda la feuille. Il la regarda; il ne la lue point, tout simplement parce qu'il n'y avait rien à lire, hormis la signature, "Clarence d'Anvers".

    Le reste de la feuille était couvert de dessins : au centre de la feuille, un arc et des flèches. Un peu plus loin, trois arbres et une espèce de chien.

    Mais le plus perturbant... cela restait tout de même ces deux étranges personnages en bas de la feuille.

    « Père,  commença Enjoy. Qu'est-ce que...

    - Tait-toi » l'interrompit froidement le père, dont le sourire s'était estompé.

     

     Pour la première fois, Enjoy allait pouvoir rédiger lui même sa lettre. Il avait eu l'autorisation de ses parents, ce qui était plutôt étonnant.

    Il se retrouva donc avec la lettre entre les mains, sans savoir quoi en faire...

    Pour la première fois, on le laissait agir de lui même. Mais justement alors qu'il avait l'occasion tant désirée de s'exprimer, il ne trouvait rien à dire.

    Il s'installa donc à une table et prit sa tête entre ses mains.

    Il lui fallait réfléchir au sens de ces dessins. Clarence n'avait pas du les dessiner par hasard, la connaissant.

    Il jetta un coup d'oeil au premier dessin. Le "chien" entre les arbres avait un étrange oeil jaune. Jaune. Comme l'oeil de Clarence.

    Cela devait signifier "Tu vois que je ne te mens pas, mon petit 'Joy !", ou autrement dit que la forêt n'était PAS qu'une simple illusion.

    Venaient à présent l'arc et les flèches; que signifiaient-ils ?

    Enjoy réfléchit mais ne trouva point. C'est alors que ses yeux se posèrent sur la signature en bas de la feuille; Clarence d'Anvers. Il eut la vague impression qu'il y manquait quelque chose, mais il ne savait plus "quoi" exactement.

    Court de mémoire, il relu donc la première lettre que Clarence avait écrite et qu'il avait recopiée sur un papier; ce qui manquait était son deuxième prénom, Jeanne. Clarence Jeanne d'Anvers.

    Il se remémora alors les paroles de Clarence  à ce sujet; « Je suis Jeanne, Jeanne d'Arc ! » avait-elle dit avec un rire étrange.

    Le dessin représentait des flèches, mais surtout un arc, comme Jeanne d'Arc. Encore une preuve montrant que la Clarence de la forêt et la vraie Clarence ne faisaient qu'une.

    Plus il y pensait, plus cela l'embrouillait. Quelle était cette forêt ? D'où venait-elle ??

    Toutes ces question auxquelles il ne pouvait apporter de réponse ! Toutes ces choses qu'il voulait demander mais qu'il ne pouvait coucher sur papier ! Toutes ces choses qu'il ne comprenait pas, tous ces mystères qui lui échappaient !

    Un mariage arrangé,une fiancée imposée, une correspondance obligée, une liberté privée... Toutes ces injustices qu'il devait subir en silence, sans pouvoir s'exprimer !

    Comment un enfant de dix ans, de dix ans seulement, aurait pu supporter tout cela ? Enjoy n'avait qu'une solution, fuir, fuir et toujours, et encore, fuir !!

    Il décida en effet de fuir, en pensant à autre chose. Il ne désirait qu'une chose, se changer les idées !

     

    C'est alors qu'il repensa à quelque chose, ou plutôt à quelqu'un. Il monta les escaliers en courant et se réfugia dans sa chambre. En fouillant ses tiroirs,  il finit par retrouver ce qu'il cherchait: une bague.

    Il  la mit à son annuaire et pensa...

    « Peut importe la forêt. Peut importe ces histoires. Tout cela a faillit me faire oublier quelque chose d'essentiel, quelque chose d'élémentaire; tant que M. L-M sera avec moi, je n'aurais que faire de Clarence. Et de tout ce qui va avec. »

     

    Il passa donc le reste de sa journée normalement, tirant un trait sur ses problèmes. Il n'écrivit pas de réponse à la lettre de Clarence et rangea celle-ci au fond d'un tiroir.

     

    Le soir, il veilla tard dans sa chambre à la lueur d'une chandelle. Assit à son pupitre et avachit sur sa chaise, il faisait tourner encore et encore la bague sur son doigt. Voilà cinq ans qu'il l'avait ramassée; toujours pas de nouvelles de cette mystérieuse "M L-M". Il fallait dire qu'il n'avait pas osé s'enquérir de son identité auprès de ses parents, il n'avait donc pas vraiment été avancé.

    Alors qu'il réfléchissait, il entendu un petit bruit à sa fenêtre.

    Il se retourna, mais ne vit rien. Un deuxième petit coup se fit entendre. Cela ressemblait à quelqu'un qui toquait à sa fenêtre. Il essaya de regarder, mais la vitre se reflétait à la lumière de la bougie, il lui était donc impossible de voir à l'extérieur.

    Il appuya donc sa tête contre la vitre, tentant en vain d'entrevoir quelque chose. Derrière lui, sa chandelle s'éteignit soudainement. Il se retrouva donc seul dans l'obscurité. De l'autre côté de la vitre le regardait un immense oeil jaune, brillant dans le noir de la nuit, grand ouvert, le fixant d'un air malveillant.

    Enjoy poussa un cri de frayeur et s'éloigna le plus possible de la fenêtre. Il resta un bon moment ainsi, immobile, haletant, des sueurs froides lui parcourant la nuque.

    Il était sans voix, et couru dans la chambre de ses parents après s'en être remis pour chercher du réconfort. Il les réveilla, eux qui dormaient déjà.

    Son père éclata de rire à l'écoute de son récit et lui assura qu'il n'avait fait qu'un mauvais rêve, rien de plus. Sa mère le raccompagna dans sa chambre et le mit au lit. Elle lui caressa la tête jusqu'à ce qu'il soit apaisé puis retourna dans sa chambre.

    Enjoy fut ainsi apaisé, mais une heure plus tard il ne dormait toujours pas. C'était la première fois que cela lui arrivait, il se mit alors à pleurer.

    « Il faut que je retourne voir Mère... »

    Il se leva, et le contact de ses pieds nus sur le marbre le fit frissonner.

    Il fut surprit en entrant dans la chambre de ses parents de voir que son père ne s'y trouvait pas, ou plutôt ne s'y trouvait plus.

    Il abandonna alors l'idée de réveiller sa mère pour plutôt rechercher son père.

    Où était-il allé ? Peut être était-il allé se soulager dans le jardin ? Où parti bien réveiller un domestique pour qu'il lui prépare un petit quelque chose à manger ?

    Il emporta avec lui une bougie et descendit silencieusement les escaliers le menant vers la cuisine. Il n'y avait personne.

    Lorsqu'il passa près de la fenêtre, il aperçut de la lumière à l'extérieur. Il se rapprocha de la vitre, encore et encore, jusqu'à faire tomber par inattention sa bougie sur le sol, qui s'éteignit en tombant.

    Alors Enjoy découvrit ce qu'était cette lumière au dehors. Il s'agissait d'un homme tut vêtu de noir, une torche dans la main, rôdant dans les sentiers du jardin.

    Enjoy, apeuré, resta immobile en attendant que l'homme parte. L'idée qu'il puisse être son père ne lui effleura même pas l'esprit. ne tenant plus debout, il se laissa tomber sur le sol. Il resta ainsi un bon moment, jusqu'à ce qu'il entende la vieille pendule sonner deux heures et demi du matin.

    Dehors il commençait à pleuvoir, et la fenêtre s'était couverte d'une épaisse buée. Enjoy ne voyait plus rien d'autre qu'une lumière jaune. Jaune... La vision de l'oeil lui revint à l'esprit.

    De peur, il commença à ramper vers l'escalier pour s'enfuir. Lorsqu'il atteignit la première marche, il entendit l'orage gronder à l'extérieur. Il monta les escaliers à quatre pattes, trébuchant à chaque marche. Arrivé en haut, il s'aida de la rampe pour se mettre debout.

    Son père n'était toujours pas là, et sa mère dormait. Enjoy serra la bague dans sa main.

    Il avait le sentiment d'être le seul au monde à ne pas dormir, à cette heure si tardive.

    Il retourna se coucher dans son lit, mais le sommeil ne lui venait toujours pas et l'heure tournait, encore et encore. Alors le pendule sonna quatre coups et il se remit à pleurer, s'enfonçant le visage dans son oreiller en plume.

    Il avait envie de crier, de réveiller tout le monde pour faire partager sa souffrance.

    Il se leva donc pour la énième fois et entra à nouveau dans la chambre de ses parents. Son père n'était toujours pas là et il se demandait ce qu'il pouvait bien faire à cette heure là; de plus, on entendait toujours l'orage gronder dehors.

    Enjoy se coucha à côté de sa mère, là ou devrait normalement être son père. Elle avait le visage tourné vers lui et la main tendue entre les deux oreillers.

    Pour se rassurer, Enjoy saisit cette main qui s'offrait à lui. Sa mère sourit dans son sommeil et resserra l'étreinte.

    Il finit par s'endormir.

    FIN DU CHAPITRE 4

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  • Opaline

     Une grande forêt s'étendait à perte de vue; je posai un pied, puis l'autre, et avançai entre ses arbres ténébreux.

    « Enjoy » murmurait une petite voix au loin.

    « Enjoy, répond-moi si tu es là ». Je vacillai, puis tombai à genoux.

    - Qui... Qui est là ? » demandai-je.

    J'entrevis alors une silhouette entre les arbres. La silhouette se rapprocha, se rapprocha, si bien que je finis par en distinguer les détails.

    C'était une petite fille, quoiqu'elle fut plus âgée que moi, et elle avait une allure assez étrange. Elle avait les cheveux courts et sombres, formant une épaisse frange qui lui cachait entièrement les yeux. Vu comme cela,  je crois que je l'aurais prise pour un garçon si elle n'avait pas revêtit cette robe rose.

    « Qui êtes... vous ? » demandais-je.

    Son visage d'apparence si calme, arbora soudainement un étrange sourire. On aurait dit qu'elle se retenait de rire.

    « Je suis Jeanne, Jeanne d'Arc ! » me répondit-elle avec un rire dément.

    Je fis alors le rapprochement entre Jeanne d'Arc et le deuxième prénom de Clarence, et lui répondit  :

    - Ah, Clarence ? »

    - Oh oh, tu as su faire le rapprochement .... Tu es moins bête que je ne le croyais. Et cela montre que tu as bien lu ma lettre ! »

    Elle rigola, cette fois ci plus calmement.

    - Tu as su déjouer ton père !! » continua-t-elle tandis que son rire s'élevait de plus en plus haut.

    « P... Pardon ? »

    Comment pouvait-elle savoir que c'était mon père qui rédigeait mes lettres ? Comment...

    - Voyons Enjoy ! me lança-t-elle. Ne sois pas étonné, tu es tout simplement si prévisible ... Et puis, comment un enfant de ton âge aurait pu rédiger une telle lettre ? »

    Cette remarque me vexa. Je n'étais pourtant pas beaucoup plus jeune.

    - Enjoy, viens, suis-moi que je t'emmène dans mon repère ! »

    A peine eus-je le temps de m'en rendre compte qu'elle avait disparu entre les arbres. Je couru donc droit devant moi, essayant de la rattraper, et finis par la retrouver. Elle s'était arrêtée pour m'attendre. En ma voyant arriver, elle continua sa course.

    Je me laissai donc guider par elle, jusqu'à ce que nous arrivions à un certain coin de la forêt où je la vis s'arrêter.

    Un rayon de lumière filtrait entre les arbres.

    Je fus émerveillé de la beauté du paysage qui s'offrait à moi. Grâce à cette éclaircie, les arbres resplendissaient. Cela paraissait encore plus magnifique maintenant que Clarence m'avait dit que c'était le seul endroit lumineux de la forêt. D'ailleurs, à part cela cette forêt était assez glauque... Forêt ?

    « C'est étrange, je ne me souviens pas être venu ici... »

    - Enjoy... répondit Clarence. Il est temps que tu te réveilles à présent... »

     

     

    Lorsqu'Enjoy se réveilla, il était dans son lit. Son majordome était en train d'essayer de le réveiller, comme chaque matin.

    - Monsieur... soupira le majordome. Aujourd'hui, vous avez eu du mal à vous réveiller. J'espère que ... Vous ne vous épuisez pas... » dit-il en baissant les yeux.

    - Ce n'était donc qu'un rêve... » murmura le jeune garçon.

    - Je vous demande pardon ? »

    - Non, rien. Ne t'en fais pas, Geoffroy, ce n'est rien. J'ai juste eu un peu de mal à m'endormir hier soir. Alors si tu pouvais... »

    - Oui, et aussi que vous ne vous êtes point couché de bonne heure » lui répondit le majordome d'un ton moqueur.

    A ces mots, Enjoy se redressa brusquement et le gifla. L'avait-il espionné ? Que savait-il exactement ?

    -Excusez-moi ... Monsieur... » dit-il, les larmes lui montant aux yeux. Lorsqu'il vit qu'Enjoy le regardait, il demanda à se retirer, honteux, et sortit de la salle.

    Enjoy soupira.

    « Faible comme il est, il ne répétera rien. Je n'ai rien à craindre. »

    Puis il se souvint de son passage dans la forêt. Etait-ce cette fameuse "forêt de l'Eternité" dont parlait Clarence ? Sans doute ... Ou bien n'était ce qu'un rêve du à la lecture de la lettre ?

    Il ne pourrait le savoir qu'en rencontrant la véritable Clarence... Il était donc impossible pour lui de le prouver pour l'instant.

     

    Il en vint donc à la conclusion qu'il ne s'agissait que d'un rêve. Un rêve, certes, mais un rêve qui continu. Un rêve, qui, comme dirait-on, pourrait durer l'Eternité. Car la nuit suivante, lorsqu'il s'endormit...

     

     

     « Bonjour Enjoy ! Alors, de retour parmi nous ? » s'exclama Clarence.

    J'écarquillai les yeux.

    « En... Encore ce rêve ? »

    - Mais voyons, Enjoy, me répondit-elle. Tu insinues que je ne suis pas réelle ? Enfin ! Moi, je dirais plutôt cela de ton statut. »

    - Pardon ? »

    - Oh, ce n'est rien, ce n'est rien mon petit 'Joy. Tu es jeune, tu as encore toute la vie devant toi ! »

    Clarence semblait parler par énigmes. Etant jeune, comme elle l'avait si bien dit, je ne comprennais rien. Mais, vraiment, existait-il une personne capable de comprendre ?

    - Bienvenue dans un monde d'illusions, poursuivit-elle. Dans cette forêt, aussi étrange que fascinante, tu vas... »

    - Une illusion ? Mais... Vous disiez être bien réelle... »

    Elle me regarda d'un air exaspéré, et soupira.

    - N'essaye pas de réfléchir, cela ne te ressemble pas. Tiens, parle-moi plutôt de toi pour nous distraire. »

    Sa façon d'éviter la question me rendait méfiant. Où était la vérité, et quel était le mensonge ? Pas moyen de le savoir.

    Sans doute était-ce vraiment un monde d'illusions, puisque je rêvais; mais que faisait-on de cette étrange Clarence énigmatique ? Elle semblait se souvenir de moi... Et disait des choses que mon inconscient n'aurait pu inventer...

    - Clarence, il y a quelque chose que je voulais vous dire...

    - Oh ? Te décides-tu enfin à avoir une conversation ?

    - Hum... oui... enfin... »

    Clarence s'assit au sol et commença à cueillir des trèfles.

    - Un, deux, trois, quatre... Enfin, Enjoy ! Décide toi à parler, toi dont le prénom symbolise la joie ! Ne te laisse pas troubler !

    - Alors... En vérité, c'est mon père qui a rédigé toutes les lettres que tu as reçues... Et il ne m'avait pas laissé lire ta lettre... »

    - Oh ! » me répondit-elle, étonnée.

    - Oui, c'est affreux n'est ce pas...

    - Non, ce n'est pas cela qui m'étonne. Ce qui m'étonne, c'est que tu as appris à me tutoyer. Voyons, pourquoi vouvoyer quelqu'un qui te tutoie ? Tu as enfin compris la leçon !

    - Mais peu importe !!! Et l'affaire de mon père, vous... tu n'as pas de réaction ??!

    - Oh, mais je le savais déjà... Et tu es allé lire ma lettre en cachette, même, hm ?

    - Comment cel... » répondit-je.

    Clarence leva sa tête, et de ce mouvement déplaça involontairement une mèche de ses cheveux. Ainsi, pour la première fois, j'arrivai à distinguer ses yeux, ou plutôt son oeil gauche.

    Son iris était... jaune. Oui, c'est cela, jaune. J'avais déjà entendu parler de ces Orientaux aux yeux dorés, mais c'était la première fois que j'en voyais un en vrai.

    Sans m'en rendre compte, j'avais rapproché mon visage du sien pour le voir de plus près.

    Elle porta violemment ses mains à son visage et détourna la tête, me considèrant avec horreur.

    « Oublie ce que tu as vu. » Ce fut sa seule réponse.

    Nous ne nous parlâmes plus. Clarence continuait de cueillir des trèfles , et moi, je restais debout, lui tournant le dos.

    Jusqu'à ce que je me réveille.

     

    FIN DU CHAPITRE 3

     

    Opaline


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