•  Horriyya

     HORRIYYA

     

    C'était il y a vingt ans, et pourtant je m'en rappelle comme si c'était hier.

    Je venais de faire mes entrées dans le journalisme. J'étais encore jeune, et pleine de rêves quant à l'avenir. A l'époque, on croyait au progrès; je dirais même: on vivait le progrès. Ou du moins on croyait le vivre.

     

    Ce jour là, j'avais dû me rendre dans un camp de réfugiés pour rédiger un de mes articles. C'était la première fois de ma vie que j'entrais dans un tel lieu. Des bénévoles m'accueillirent, me présentèrent la vie au camp, l'organisation et l'administration. Je ne vis que très peu de réfugiés; seuls quelques rares volontaires vinrent témoigner. La plupart d'entre eux voulaient se faire discrets, vivant dans la crainte d'être découverts. Parmi ceux qui sont vinrent me voir, une en particulier retint mon attention; c'était une jeune femme originaire d'Afrique du Nord, arrivée par bateau, à six mois de grossesse, et qui parlait français avec un accent délicieux. Son histoire suscita en moi beaucoup d'intérêt: ayant vécu dans la misère toute sa vie, elle était venue en France pour permettre à son enfant d'avoir une vie meilleure.

    "Fille ou garçon, me disait-elle en roulant gracieusement les r, il s'appellera Horriyya, Liberté."

    Je fus immédiatement séduite par tant de bons sentiments, et le lendemain même je lui consacrai un article. Lorsqu'il parut, je repris contact avec elle pour le lui lire. Elle sembla charmée par cette attention, et pour me remercier m'offrit un collier de perles en bois.

    Je ne sais pas ce qui m'a pris à cet instant, mais je fus tentée de lui faire une proposition pour le moins étrange, étant donné qu'elle était très risquée pour moi. Je sais que de nos jours, cela n'a plus beaucoup de sens: je lui ai simplement proposé de quitter son camp pour venir habiter dans mon trois-pièces, en attendant de lui trouver une meilleure situation. De nos jours, on appellerait cela de la solidarité. A l'époque, c'était du "délit de solidarité". En bref, exactement la même chose, sauf que je risquais d'être attaquée en justice pour mon acte. Mais il est bon de le rappeler: cette loi, trouvant ses origines au sortir de la Seconde Guerre mondiale, avait été particulièrement promue pendant le quinquennat de Sarkozy, qui avait instauré des quotas d'immigrés à expulser. Il fallut attendre l'arrivée de Hollande au pouvoir pour que l'on songe à sa suppression, et que cela soit finalement fait, en janvier 2013. Pourquoi donner des noms ? Pourquoi pointer du doigt Sarkozy en particulier, me direz-vous ? Parce qu'un tel mépris de l'être humain ne doit être ni pardonné, ni oublié. Parce que la postérité doit être consciente de la réalité des choses, et ne dois pas se fier à quelques nostalgiques d'une époque (heureusement) révolue. Mais à ce moment-là, je ne pensais pas à toutes ces difficultés à venir. Elle accepta ma proposition, et une jolie cohabitation commença. Pendant deux mois, elle partagea joyeusement mon quotidien. Deux mois de bonheur et de confidences. Nous étions devenues très liées, et je garde toujours de très bons souvenirs de cette amitié. En journée, nous discutions de l'avenir autour d'un thé à la menthe pendant que je rédigeais mes articles, et le soir, toute la maison était envahie de la douce odeur épicée de sa cuisine. Elle évitait au maximum de sortir, de peur d'être arrêtée. Mais un jour, alors qu'elle était sortie faire quelques courses, je ne la vis pas rentrer. J'étais morte d'angoisse: elle était maintenant enceinte de plus de huit mois, et je craignais qu'il ne lui soit arrivé quelque chose. Je ne pouvais pas appeler la police: je n'avais pas beaucoup de choix. Je passai donc toute la soirée à crier en vain son nom dans la rue. Vers deux heures, je rentrai chez moi, à bout de forces. Je vis deux agents de police prostrés devant ma porte, à torturer ma sonnette et crier "si vous ne nous ouvrez pas, j'enfonce la porte !". La peur s'empara de mon corps. Paralysée, je n'arrivais pas à prendre mes jambes à mon cou; un des deux policiers finit par remarquer ma présence.

    "Eh, mais c'est elle !"

    Avant d'avoir eu le temps de le réaliser, ils m'avaient empoignée par les épaules et m'emmenaient au poste. Tout se passa très rapidement: on m'enleva mes lacets, et je passai à l'interrogatoire. Je ne pensais pas que c'était encore légal, de vous interroger comme ça, sous la lumière aveuglante d'une lampe, sans le droit de sortir, même pour aller aux toilettes, comme s'ils prenaient un malin plaisir à vous voir vous pisser dessus. Et pourtant, ça devait certainement l'être, puisque c'était l'usage dans tous les commissariats. Je ne parvenais pas bien à voir le visage de mon bourreau: comme je l'ai dit, la lumière m'aveuglais.

    "Depuis combien de temps tu l'hébergeais ?" me dit une voix autoritaire.

    "Monsieur, je  vous en prie, ne me tutoyez pas, j'ai beau être couverte de pisse, mon honneur..."

    -Ta gueule, et répond."

    C'était catégorique; un gardé à vue doit être docile, tandis que l'interrogateur peut l'interrompre brutalement à tout moment.

    "Eh bien, je ne vois pas de quoi vous parlez."

    Sa grande main siffla dans l'air pour m'asséner une gifle.

    "Ne joue pas a l'idiote avec moi ! Tu dois avouer. Tu dois avouer pour le bien de la France."

    -Quel rapport avec..." je le vis se contracter. Je continuai, la voix faiblissante: "... La France ?"

    "LA FRANCE N'EST PAS UNE POUBELLE!"

    Devant mon visage étonné, il poursuivit.

    "Notre illustre pays ne peut pas accueillir toute la misère du monde. Vous vous êtes rendue complice de ces clandestins, alors qu'ils sont une tare pour notre société."

    J'en restai bouche-bée.

    "C'est pour cela que nous avons besoin de ton témoignage. Dis nous quelles autres personnes se rendent coupable de telles choses, pour que nous puissions les arrêter. Nous avons besoin de tes aveux."

    -Mais enfin, à vous entendre parler, répliquai-je, on croirait que je me suis rendue coupable de quelque crime. De quoi donc suis-je accusée ?"

    -Délit de solidarité."

    Je le considérai avec effroi.

    -Je n'ai rien fait", dis-je.

    -Ce n'est pas ce que nous ont dit tes voisins."

    -Mes voisins ? Comment ça ??"

    -C'est eux qui nous ont appris que tu hébergeais une clandestine en toute illégalité."

    -Hein ??"

    -On a attrapé ta protégée hier, en fin d'après-midi."

    -Alors, c'est comme ça ! Ils vivent de la dénonciation, ces vieux nostalgiques de Vichy... Attendez, vous avez dit quoi ??"

    -Mes collègues l'ont arrêtée"

    -Et comment va-t-elle ??"

    -Ah ! Tu reconnais enfin..."

    -COMMENT ELLE VA !!??"

    Il me lança un regard de chien enragé.

    -Tu vas te calmer, p'tite conne. Comment elle va ? Très bien. Elle prend le train pour Marseille cet après-midi même, et pfou ! direction l'Algérie."

    Je devais avoir une tête bizarre, vu le regard qu'il me lança. Non, ce n'était tout simplement pas possible. L'expulser, elle ! Mais que savaient-ils de son histoire ??

    -L'Algérie ?..."

    -Oui, par bateau."

    -Par bateau ?? Mais... Non ! Non !! Vous ne pouvez pas la faire voyager dans ces conditions, elle est sur le point d'accoucher !"

    -Justement, ce serait fâcheux qu'elle le fasse sur le territoire français."

    Non, c'était le contraire. Si elle était venue jusqu'ici, si elle s'était battue tout ce temps, c'était pour que Horriyya naisse ici, en France, et mérite son nom de "Liberté" en acquérant la nationalité par droit du sol. C'était pas pour qu'on l'expulse avant même qu'il voit la lumière du jour. Monstres, monstres, monstres nationalistes, qui ne respectent l'être humain qu'à condition qu'il ait des papiers, sans quoi ils lui réservent les pires traitements !

    -Pourrais-je la revoir ?"

    -Non."

    -Pourquoi ?"

    -Je dois t'interroger."

    -Eh bien, interrogez-moi. Quand ce sera fini, je pourrais bien la voir, non ?"

    -Quand ce sera fini, elle sera partie."

    Il me laissa là, détruite, et sortit se fumer une cigarette. Une clope, rien qu'une clope: même ça, je n'y avais pas droit ! Puis l'interrogatoire reprit son cours, et j'en sortis sans n'avoir rien avoué, sans n'avoir rien lâché de plus que le fait que j'avais effectivement hébergé ma petite francophile. Elle qui me parlait toujours de la France, mon pays d'origine, et pas vraiment son pays d'adoption, comme du pays des Droits de l'Homme, le pays de la Liberté, le pays d'Horriyya... Ah, si elle avait su, ah, si j'avais su. Si on avait su que la France n'était pas le pays des Droits de l'Homme, loin de là ! Ces droits ne touchent que les Français, les autres, les "sales", les "parasites", les "envahisseurs", autant de mots pour désigner des personnes qui n'ont simplement pas ce fichu bout de papier plastifié qui provoque tant de passions, eux, oui eux, n'ont de droit que celui de se taire, de devoir que celui de s'en aller.

    Finalement, comment s'est finie cette histoire ? Je suis rentrée chez moi, j'ai pleuré. J'étais jeune, et j'avais perdu mes rêves quant à l'avenir. Je ne croyais plus au progrès, je ne revis plus jamais la mère de Horriyya, et les policiers me défendirent d'en parler à quiconque, et bien sûr il ne fallait surtout pas que j'écrive un article dessus. Vingt ans ont passé, d'une rapidité effroyable. A présent, j'ai quarante-trois ans; pas plus tard qu'hier, en fouillant dans mes tiroirs, je suis tombée sur lui. Lui, ce vieux collier de perles en bois qu'elle m'avait offert des années auparavant le jour où je lui avais proposé naïvement de venir vivre chez moi. Ce fut une réminiscence: des sentiments indescriptibles m'assaillirent sans crier gare, et je revis défiler devant mes yeux nos deux mois de vie commune. N'était-ce pas son pas familier, que j'entendais frapper sur le pavé ? Et ce rouge pourpre aux pieds d'une dame, aperçu à la dérobée au coin d'une ruelle, n'était-ce pas un coin de cette robe, qu'elle aimait porter et que sa mère lui avait offerte ? Et ce ciel, d'un bleu si limpide, n'était-ce pas son voile parsemé d'étoiles, qui, plutôt que de cacher ses cheveux d'ébène, les mettait si bien en valeur ? Tant de petits détails, qui me firent ressentir l'absence de cette amie chérie, et au souvenir délaissé par le temps.

    Je suis donc retournée, nostalgique, dans le camp de réfugiés où je l'avais rencontrée. Il était toujours autant peuplé, et ses habitants avaient les yeux toujours aussi brillants d'espoir. Seuls parmi, eux, un homme sombre, faisait tache. Il attira mon attention: quand on est journaliste, on finit toujours par repérer le mouton noir d'un troupeau, même inconsciemment. Voyant que je l'observais, il vint m'adresser la parole. J'appris ainsi que c'était la septième fois qu'il venait en France et qu'il se faisait expulser. Me sentant en confiance avec lui, je lui racontai donc mon histoire et la raison qui m'avait poussée à revenir dans ce refuge de fortune.

    Il sembla étrangement surpris. Il se tut un instant, puis me dit d'une voix tremblante :

    "Vous savez ce qui lui est arrivé ensuite ?"

    Je lui répondis que non. Alors il me dit, presque en criant, tout ce qu'il avait sur le cœur, tout ce qu'il avait gardé en lui, tout ce qu'il n'avait pas osé dire pendant que je lui parlais :

    "Madame, il y a vingt ans, je me faisais expulser pour la première fois. Nous étions à trente sur un petit bateau, direction notre Algérie natale. Les conditions étaient horribles. C'était comme votre garde à vue, là, on plongeait tous dans notre pisse et dans notre merde. Parce que ces enfoirés, ils nous avaient enfermés, pour pas qu'on s'enfuie. Parmi nous, il y avait une femme adorable, très gentille, qui avait le ventre plus gros qu'une pastèque. Elle cachait bien sa tristesse, mais ça se voyait quand même qu'elle était dévastée d'avoir été expulsée. On l'était tous. Mais voilà qu'un jour, le pire arriva ! On était tous à moitié en train de somnoler, quand elle, tout à coup, a été prise de convulsions. "Non, non, c'est trop tôt" qu'elle criait. "Horriyya, non, tu devais naître en France !". Les femmes sont toutes accourues vers elle, tout le monde paniquait, tout le monde criait. Les gardes beuglaient "Vos gueules !" et nous on disait "bourreaux ! Sans coeurs !". Ca a duré toute la nuit. Moi, j'étais là, je ne savais pas quoi faire, jusqu'à ce que je sente du sang toucher mon pied, au milieu de la pisse et de la merde. Elle criait, sans s'arrêter : "Horriyya ! Horriyya ! Ma Liberté !" et nous on reprenait, sans trop comprendre, "Horriyya, Horriyya !". On pensait qu'elle voulait parler de "libération" ou quelque chose comme ça. Et puis voilà, c'est arrivé: il est né, elle est morte. Un petit garçon. Un petit bout de liberté... OUI ! MORTE !" cria-t-il devant mon visage bouleversé. "Morte ! Morte comme Voltaire, comme Rousseau, comme Ibn'Arabî, comme tous ces grands qui sont morts avant nous. Morte comme tous ces martyrs dont nous parlent ces fichus bouquins religieux, vous voyez... Cette femme, c'était une sainte, une madone. Et son fils, naturellement, on l'a appelé Horriyya. D'après ce que vous m'avez raconté, on a eu raison."

    -Et... et Horriyya, qu'est-ce qu'il est devenu ?" hasardai-je.

    -Je vous l'ai dit madame, c'était comme en garde à vue, même pire... On était dans notre merde et dans notre pisse. Pas beaucoup à manger. Le gosse a pas tenu trois jours. Il a fini au fond de l'Océan, comme sa mère."

    Inutile de préciser l'état d'esprit dans lequel me plongea cette nouvelle. Je m'arrangeai pour clore la discussion puis je quittai le camp, plus abattue que jamais, pour rejoindre mon appartement, qui n'est plus un trois-pièces, mais un 200m² dans les beaux quartiers de la capitale. Mais qu'importe, tout cela ? J'étais bien plus heureuse dans mon trois-pièces, avec sa cuisine, avec ma Liberté, avec elle. La nuit dernière m'a laissé tout le temps d'y penser, et aujourd'hui, j'ai ressenti une envie pressante de témoigner. Témoigner est la meilleure chose que je peux faire, ou plutôt, la seule. Me voilà donc, à présent, à prendre ma plume pour la dernière fois, et à rédiger mon dernier texte, non pas un article, je n'ai pas le coeur à médiatiser mon histoire, mais plutôt une tranche de vie, qui, je l'espère, fera au moins un peu réfléchir la postérité...

     

    Attendez, attendez ! Imaginez, imaginez un instant; mais oui, c'est clair, limpide comme de l'eau de source ! Imaginez: et si cette femme ne représentait non pas une seule femme, mais l'ensemble des immigrés, qui vivent souvent des situations semblables ? Et si Horriyya n'était pas qu'un petit être de chair, qui a fini par trouver sa Liberté au fond de l'eau, mais aussi un symbole, le symbole qu'il porte en son nom ? Et si, finalement, notre "beau" pays qu'est la France, noyait chaque année les espoirs de milliers de gens au fond des Océans ? ...

    Fin.

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    Il existe plusieurs sites publiant des témoignages d'enfants d'homos. Je ne les connais pas tous, mais je peux en proposer au moins quelques uns.

    http://enfantsdhomos.tumblr.com/

    http://lesenfantsarcenciel.wordpress.com/

    http://voixdemomes.wordpress.com/

     

    Entre autres, voici le magnifique témoignage d'une mère :

    Coup de gueule d’une maman blessée, peinée, triste par sa fille qui a été peinée, blessée.
    « Aujourd’hui 3 camarades de classe de ma fille ont fièrement raconté leur week-end à leur classe. La Manif pour tous !
    Ils étaient fiers ces fils embrigadés de cathos extrémistes, fiers de raconter qu’ils portaient des pancartes parce-qu’il ne faut pas, c’est mal, que 2 hommes ou 2 femmes élèvent des enfants. Ils ne doivent pas adopter d’enfants, les homosexuels, c’est pas bien. Ah ça non ! Ils ne veulent pas ces gamins de 8 ans !
    Ils ont crié haut et fort des chansons : « François, ta loi on en veut pas », « un papa, une maman, on ne ment pas aux enfants ».
    Et Antoinette, terrée au fond de la classe, a tout juste osé demander ce que c’était des homosexuels, pour être sûre qu’elle comprenait bien.
    Oui mon ange, mon amour, la chair de la chair tu as hélas bien compris.
    Comme tu m’as dit, ils disaient que je ne devais pas t’élever, que Judith ne devait pas t’élever.
    Tu as compris aujourd’hui, « le jour le plus horrible de ta vie » comme tu m’as dit ce soir à table, les yeux tous rouges, que l’enfant nait plein d’amour et que l’adulte lui apprend la haine et l’intolérance.
    Je suis désolée mon ange.

    Le 27, c’est aussi pour toi que j’irai me battre. »

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  • J'ai peur.

    J'ai peur de leur rassemblement.

    J'ai peur de leur connerie.

    J'ai peur de leur nombre.

    J'ai peur de leur haine.

    J'ai peur d'être haïe.
    J'ai peur.

    Qu'est-ce que la peur ? Le fait de se sentir en insécurité ? Il y a des jours comme cela, où je me sens en insécurité. Je n'ai pas peur d'être agressée physiquement; cela ne m'est jamais arrivé. Ni de me faire voler: je n'ai rien de réellement précieux, les choses que je possède n'ont de valeurs que sentimentales, et rarement financières. Ce dont j'ai peur, c'est de la haine. LEUR haine. Je la vois partout, toujours... On me dit de l'ignorer; mais comment faire ? Comme je le disais l'autre jour à un ami, mon pire défaut est de ne pas être capable de "m'en foutre"... En attendant, c'est un supplice que de voir ça. D'entendre ça. D'entendre ces propos de haine, qui se banalisent, de jours en jours...

    Heureusement, il y a plus de gens dans mon entourage qui soutiennent la cause que de personnes pour m'enfoncer. Je leur en suis reconnaissante. Car pour essuer la haine, rien ne vaut l'amour.

    Une phrase qui parait niaise, mais qui, d'après mon expérience, a beaucoup de sens...

     

    Et un jour, l'amour triomphera. On ira se marier à la mairie, un jour même à l'église, qui sait ? Nous n'aurons plus à supporter leur jugement, nous serons libre de notre avenir, de le tracer selon nos choix... Et la peur s'éteindra.

    L'espoir fait vivre. Il m'aide à survivre face à cette peur.

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  • Interview parue sur le site des Inrockuptibles.

    Christiane Taubira, éprise de justice.

        Présentée comme le “maillon faible” du gouvernement Ayrault, Christine Taubira a pris une revanche cinglante en portant avec dignité la loi sur la mariage pour tous à l’Assemblée. Elle revient sur les combats qu’elle a menés et qui l’ont construite. Entretien.

     

    Etiez-vous heureuse de porter la loi sur le mariage et l’adoption pour tous ?

    Christiane Taubira - Cette loi était l’un des engagements du président de la République. Ce texte aurait pu être porté par un autre ministère. Mais il était logique qu’il soit porté par la Chancellerie car il concernait le coeur du code civil. Je ne cacherai pas qu’au début, ce texte n’était pas suffisamment porteur de sens. Il s’agissait de modifier des articles du code civil. Cela aurait pu en rester là, c’était même très fortement parti pour cela. Simplement, j’aime donner du sens aux choses que je fais. Avant le débat parlementaire, je me suis préparée très consciencieusement sur le plan technique et juridique. J’ai soigneusement choisi les consultations avant d’entrer en phase de concertation. J’ai beaucoup travaillé, beaucoup lu. J’ai organisé des séminaires à la Chancellerie. Mais, pour ma propre survie, il me fallait m’envoler de tout cela.

    Comment avez-vous décidé d’inscrire ce projet de loi dans une tradition de combat pour l’égalité ?

    C’est un cheminement. Quoi que je fasse, j’ai besoin de comprendre ce que je fais, d’en saisir l’importance. Concernant ce texte, j’ai besoin de comprendre comment j’inscris cette réforme dans l’histoire de la France, de la République, dans l’histoire de ses valeurs. Je pense que, dès qu’il est possible de le faire, c’est important de rappeler aux Français ce qu’ils ont fait de grandiose. C’est la meilleure thérapie contre la morosité ambiante. Ce peuple doute de lui. Depuis que je suis adolescente, j’ai abordé ce pays à travers son histoire, sa littérature, ses moments de fronde. Une des responsabilités des politiques est aussi de rappeler aux gens que leur histoire, ce n’est pas juste le chômage ou le PIB qui s’effondre. Que, même en période matérielle difficile, ils ont affronté des pouvoirs, parlé au monde entier et qu’ils ont continué à créer de nouvelles valeurs.

    Dans votre discours liminaire à l’Assemblée nationale, vous étiez très précise sur l’idée de faire entrer l’institution du mariage dans une stricte égalité des droits, vous avez rappelé un cheminement historique…

    J’ai dit, dès le départ, au président de la République que je ne voulais pas inscrire cette réforme dans une réponse ou un dialogue avec un seul groupe de citoyens. C’est une réforme de la société française. Je propose alors le terme “mariage et adoption pour tous”…

    C’est vous qui avez trouvé l’intitulé ?

    Oui. Le Président et le Premier ministre ont approuvé. Je leur explique tout de suite qu’on ne répond pas à une demande d’un groupe de personnes mais qu’on va réformer la société française et toucher à quelque chose d’essentiel. Je savais dès le début que ce serait difficile. J’ai exprimé au président de la République ma conviction que cette réforme provoquerait un ébranlement, je l’ai répété devant le groupe socialiste. Cette réforme touche à des représentations, ce n’est pas une réforme mineure ! À l’époque, tout le monde parlait de “réforme a minima”.

    Vous attendiez-vous à une si forte réaction, à ce qu’il y ait autant d’opposants dans les rues le 13 janvier ?

    La force de la mobilisation – incontestable même si moindre que ce que l’on a dit – ne m’a pas étonnée. Les organisateurs ont été habiles avec leurs manifestations familiales, festives. Je m’attendais à cet ébranlement. Je suis attentive à la société. J’ai le souci de ne pas nuire et celui de servir. J’ai été attentive aux propos. Je me suis rendu compte très vite qu’il y avait des malentendus. Si cette manifestation avait mobilisé des centaines de milliers de Français sur des choses très précises, très claires, j’aurais peut-être eu un autre rapport aux opposants. Mais cette mobilisation s’est fondée sur des malentendus construits de manière délibérée par la propagande de l’UMP, qui martelait que “les livrets de famille des hétéros vont disparaître” ou que “les mots père et mère vont disparaître du code civil”. Il était normal que les gens se crispent là-dessus. Mais ce n’était pas de cela qu’il s’agissait. Ma réaction a été d’accroître nos efforts de pédagogie, de répondre, de répliquer… de cogner aussi quand même (sourires)…

    Il y a des moments de flottement dans les mois précédant les débats. Le président de la République évoque la “liberté de conscience des maires”. Est-ce que votre rôle a été aussi à ce moment de tenir le cap ?

    C’était ma responsabilité de garder le cap. Le président de la République utilise ces termes dans un discours où il parle d’une loi républicaine qui s’appliquera à tous. Ils seront sortis de leur contexte, ce que je comprends, car quand j’ai entendu l’expression, je me suis moi-même crispée sur mon siège. Le lendemain, à la séance de questions d’actualité à l’Assemblée, je suis interpellée trois fois là-dessus. Je confirme le cap. Dès le lendemain, le Président a reçu une délégation LGBT.

    Pensez-vous que l’on a eu un beau débat, où les choses ont été dites, ou que l’on a assisté au “naufrage d’un débat” comme l’indiquait le titre d’un article du Monde ?

    Il y a eu incontestablement un beau débat pendant deux semaines. Il y a eu un naufrage aussi, des dérapages, c’est indiscutable. Mais ça ne me choque pas plus que ça. Lorsque j’ai estimé que les dérapages étaient inadmissibles, je les ai contestés, parfois avec virulence. Quand un député UMP a évoqué le “triangle rose” et un autre parlé “d’enfants Playmobil”. Il y a des choses qu’il ne faut pas laisser passer. Les attaques contre le gouvernement, c’est le jeu politique. Les agressions contre ma personne, franches ou sournoises, ça ne me touche pas, ils n’ont pas dit la moitié de ce qu’ils ont dit aux mois de mai et juin (après sa nomination, l’opposition la taxait de “laxisme” et “d’incompétence” – ndlr) et cela ne m’affectait déjà pas. Mais cette violence verbale, y compris avec un ton posé, contre les personnes concernées, “ces vies d’enfants saccagées”, a-t-on entendu… Au nom de quoi dit-on que la vie de ces enfants est saccagée ? Au nom de quoi regarde-t-on ces personnes, sans les connaître, pour dire que leur vie est saccagée ? C’est une violence inacceptable ! On ne fait pas de plaisanterie sur le triangle rose, sous aucun prétexte. Si on en parle, c’est avec recueillement, avec des mots forts. Les dérapages me concernant, je m’en moque…

    Même lorsque le président du groupe UMP, Christian Jacob, dit que vous êtes “indigne” ?

    La conception de la dignité de M. Jacob ne fait pas partie de mes inspirations philosophiques. Je le connais et j’ai l’habitude de ses poussées de caractère. Mais là, il a peut-être mis une dose supplémentaire. “Vous êtes à notre disposition”, m’a-t-il dit. Je ne suis pas sûre qu’il parle ainsi à d’autres ministres, ni avec une telle gestuelle (elle mime le geste du bras de Christian Jacob haranguant – ndlr). Rebondir là-dessus ne valait pas le coup, je préférais lui montrer que c’était sans effet. Je maintiens que c’était un beau débat. Les sondages sont montés à 66 % pour la loi.

    On vous a comparée à Robert Badinter et Simone Veil, cela vous a-t-il paru justifié ?

    Je ne fais pas de comparaison. Je ne raisonne pas comme ça. J’ai des convictions, je fais mon travail. Si je ne suis pas convaincue, je vais faire autre chose. J’ai beaucoup d’affection et d’estime pour Robert Badinter depuis des années. C’est l’une des premières personnes que j’ai reçues à la Chancellerie. Je l’ai appelé lorsque j’ai pris la décision d’ouvrir les postes de procureurs généraux à la transparence. Après, Simone Veil, c’est pareil, j’ai manifesté publiquement mon estime pour elle sauf que, dès la première heure, les députés UMP ont compris que je n’allais pas pleurer, que j’allais les trucider mais pas pleurer (rires). Depuis le début, contre ceux qui disaient que c’était une réforme a minima, contre ceux qui se sont mobilisés tardivement, j’ai dit que c’était une réforme importante ! J’ai voulu en faire une belle réforme. On aurait pu passer en courbant l’échine. Mais on pouvait aussi passer en se redressant.

    Votre côté littéraire et philosophique a marqué les esprits. On sentait bien que ce n’était pas cosmétique, que les auteurs cités avaient servi à votre réflexion…

    Pas pour ce texte. Je navigue chez ces auteurs depuis que j’ai 15, 16 ans. Depuis que je sais lire, je lis tous les jours. Avant, sur mon portable, ma messagerie proposait un extrait de poème que je changeais tous les huit jours. Je n’ai plus de portable sous la main depuis que je suis ministre. Le Premier ministre et le président de la République peuvent toujours passer par quelqu’un de votre entourage pour vous joindre. Quand vous êtes ministre, il y a toujours quelqu’un à côté de vous, c’est Orwell… (rires).

    Dans vos joutes verbales, vous déclamez de la poésie…

    Je n’instrumentalise pas la poésie, je ne cherche pas un effet. Il y a des instants où j’ai le sentiment qu’un poète a mieux concentré, mieux choisi les mots, pour dire ce que je veux dire. Je l’appelle alors à la rescousse. C’est tout. Je me suis parfois retenue… Inutile de mettre le feu…

    Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas autant parlé de Léon-Gontran Damas, le moins connu des trois grands poètes de la négritude, avec Césaire et Senghor…

    C’est justice, parce que c’est vraiment un grand poète. C’est effectivement le moins connu des trois mais pourtant Aimé Césaire a dit que Damas avait écrit le premier poème de la négritude, qu’avec Pigments il avait été le premier à introduire une nouvelle écriture poétique. Ses poèmes sont inclassables ! Césaire a dit qu’il avait jeté certains de ses poèmes après avoir lu Damas. Mais comme Damas était un rebelle, un sauvage, il est resté en marge de la société.

    Vous avez réintroduit la littérature dans la politique…

    Je ne l’ai pas choisi délibérément. Il y a longtemps que je fais ça mais, avant, je passais inaperçue. J’ai cité un poème lors de ma première intervention comme députée. Les plus belles lettres de la politique, c’est donner de l’amour aux gens. C’est ce que font la poésie et la littérature. Il est anormal que ces mondes soient disjoints. C’est moi la norme, maintenant, ça change !

    Auréolée de ce qui vient de se passer à l’Assemblée, qu’allez-vous faire de cette victoire, qu’allez-vous porter ?

    Je vais vous décevoir. Je ne capitalise pas, je n’engrange pas, je ne suis pas dans cette logique-là. Je n’ai jamais eu de grandes capacités tactiques. Je suis sur des chantiers très différents, la prévention de la récidive, le réajustement de la carte judiciaire, la justice commerciale. Même durant ces deux semaines, je continuais à travailler sur d’autres dossiers, sur les auditions concernant la réforme constitutionnelle par exemple. Je suis dans l’instant. Je suis sincèrement dans la bataille. J’ai toujours été ainsi, c’est un tempérament, une éthique de vie. Simplement, j’ai été ainsi longtemps vulnérable, c’est-à-dire toute nue. Je suis toujours la même mais je ne suis plus toute nue. Je ne sens pas les coups de la même façon et j’ajuste ceux que je donne. Je suis complètement dans la bataille, dans l’instant, dans la sincérité, dans la rigueur, car être ministre est une responsabilité, pas une fantaisie.

    Comment se fait-il que vous soyez moins vulnérable ?

    L’expérience de la vie. La consolidation de mon éthique. J’étais vulnérable lorsque l’opinion des autres comptait, quels qu’ils soient. Contrairement à ce que l’on pense, j’écoute beaucoup. Mon éthique a toujours plus compté. Je la tiens de l’éducation de ma maman. Je l’ai juste densifiée, structurée. Il y a très longtemps que je sais qu’on ne fait pas n’importe quoi dans la vie, qu’on ne cède pas à la facilité, qu’on ne fait pas pour soi d’abord et contre les autres. On a dit en 2002 que j’étais imprévisible et incontrôlable. Mais ma discipline est dans mon éthique, elle n’est pas dans les ordres qu’on me donne, dans des arrangements, dans du donnant-donnant. Toutes les élections que j’ai gagnées, je me les dois. Je suis élue sur ma personne, non sur l’investiture d’un parti. À chaque élection, j’emprunte de l’argent que je rembourse. Je ne dois rien à personne.

    Que vous inspire le grand écart entre la Christiane Taubira de 2002, “fossoyeuse de la gauche” et la Christiane Taubira de 2013, “sauveuse de la gauche” ?

    Je ne lis pas l’Histoire par grands bonds. Je ne passe pas de 2002 à 2013. En 2002, mon score prouve que beaucoup d’esprits de gauche ont préféré mon discours à d’autres. Lionel Jospin m’a dit que je n’avais pas été tendre avec lui. Je lui ai répondu qu’il ne se rendait pas compte de la violence des critiques portées sur ma personne alors que tout le monde s’attendait à engranger ma mobilisation au deuxième tour. Il m’a répondu: “Je ne t’ai jamais critiquée.” Je lui ai répondu : “Mais tu as laissé faire tes lieutenants.”

    Je n’ai pas eu de moyens pendant cette campagne, les médias ne m’ont pas reçue, sauf à la fin. Ils parlaient de moi de façon critique. Au début, je n’étais pas dans la liste des tests d’opinion. On a organisé mon invisibilité pendant des mois. J’ai fait une campagne de terrain. J’ai réussi à convaincre 700 000 personnes. J’étais plus loyale à la gauche que le principal candidat de gauche. À partir de 2000, je ne votais plus les lois de la majorité. Je l’avais dit à Jean-Marc Ayrault personnellement et pourtant j’ai assumé l’intégralité de la législature durant la campagne. Je suis retournée trois fois dans certains endroits où les gens étaient dégoûtés de la gauche. J’ai fait une campagne loyale à la gauche. J’ai ressenti de manière violente l’accusation d’être le monstre qui a abattu la gauche. Mais je m’échappe vite de la violence au sens où je refuse de prendre les choses personnellement. Que signifie cette violence ? Que, quoi qu’elles fassent, il y a des personnes qui ne sont jamais à leur place dans ce pays. Du coup, je repars au combat parce que je me dis qu’il y a des gamins qui ne sont pas à leur place dans la société et pour eux je dois me battre.

    Aviez-vous ce sentiment il y a quelques mois lorsque des personnalités de droite et de gauche affirmaient que vous étiez le “maillon faible” du gouvernement ?

    C’est la même chose. Le message n’est pas ambigu : “Qu’est-ce que tu fais là ?” Dans leur schéma de pensée, je ne peux pas être garde des Sceaux. Là encore, c’est au-delà de moi. Certains ne sont jamais à leur place, selon eux. Ils considèrent que je serai toujours illégitime. Cela ne me fait pas pleurer. Ces propos me disent surtout des choses sur les personnes qui les tiennent.

    On sent une forte volonté de rupture par rapport à la justice émotionnelle de ces dix dernières années ?

    Oui, à cette nuance près que je ne me situe pas par rapport aux dix années passées. Je réfléchis au sens de la prison, au sens de la peine. Quelle peut être son efficacité ? Comment ramène-t-on les gens dans la société ? Si je ne les ramène pas, je leur permets de fabriquer d’autres victimes. En les ramenant dans la société, je contribue à la sécurité des Français.

    Recueilli par Frédéric Bonnaud et Anne Laffeter pour les "Inrockuptibles".

    Partager via Gmail

    votre commentaire