• Prose

    Prose

     

    Une rubrique pour tous mes textes, romans et nouvelles, essais ...

    Enjoy !

     

    Etant donné que j'ai toujours des sujets plus ou moins engagés, on pourrait regrouper mes nouvelles de cette façon :

    Totalitarisme/répression politique: L'oiseau de papier, How many times

    Sans-papiers : Horriyya

    Homosexualité : Il est tard maintenant

    SDF : Il est tard maintenant

    Antisexisme : MafiCase faits divers

    Rêves : Le Jour et la Nuit

     

    La valse des tyrans

    Un jour mon Prince viendra, et je ne serai plus là...

  • Des Problèmes sur la ligne 5

    (Le Taxi Collectif)

     

    Ce matin, j'ai voulu montrer à une amie (et collègue) le trajet que je fais tous les jours pour aller de mon domicile à mon travail. Mais j'avais oublié que nous n'étions plus vraiment dans le même monde. D'ailleurs je ne sais toujours pas comment cela se fait qu'elle était ici avec moi, je n'ai pas pensé à lui demander car cela me paraissait naturel, mais maintenant que j'y pense cela ne l'était absolument pas, mais bon, je me perds, ce n'est pas là où je voulais en venir. Ce que j'avais omis de préciser quand j'ai accepté de lui faire faire le trajet, c'était que depuis une semaine environ il n'y avait plus de métro 5. Enfin plus de métro tel qu'on le connaît : il y avait toujours l'heure de pointe, les gens qui attendent, qui se bousculent, mais plus de rame de train pour les accueillir. Maintenant, et jusqu'à la réparation et rénovation des anciennes rames, les stations seront desservies en VOITURE. Une voiture de quatre places avec un chauffeur mais dans laquelle on arrive à entasser tout un wagon de personnes pressées d'aller au travail.

    Déjà qu'avant, quand on avait encore nos bons vieux trains, je galérais pour trouver une place assise à l'heure de pointe, et ça, ça me faisait tellement chier putain, je m'empressais dès que le train arrivait pour pousser tout le monde comme une brute afin de m'ouvrir le chemin jusqu'à une place. C'est toujours une vraie guerre pour les places assises, rien à battre des vieux, des femmes enceintes, des handicapés, des blessés de guerre et des enfants, on est des travailleurs merde, on a morflé aujourd'hui, on mérite bien de poser notre cul deux secondes pour souffler. Alors imaginez la même scène pour monter dans une voiture. On est aussi nombreux, on est aussi pressés, on la veut notre foutue place assise, en plus c'est pas très agréable d'être debout, le dos courbé, dans une bagnole. Mais ça ma collègue ne le comprenait pas, faut dire qu'elle habite à dix minutes du travail, l'heure de pointe, le métro-boulot-dodo, tout ça elle ne connaît pas. Elle n'a pas une âme de guerrière, elle n'a pas compris quand elle m'a vu envoyer tout le monde valser pour me frayer un chemin entre les voyageurs, elle n'a pas compris non plus quand je me suis précipitée pour ouvrir en premier la portière, avec encore plus de fougue que lorsque je prenais un vrai métro, et cette conne a tellement rien compris qu'à cause d'elle j'ai failli ne pas l'avoir cette place. J'ai dû lui gueuler super nerveusement « mais dépêche-toi putaaaain, si on veut avoir une place !! ». Je déteste quand les gens ne coopèrent pas, dans une situation d'urgence comme celle-là. D'accord, je veux bien concevoir que ce n'est qu'une station, mais une station de cinq longues minutes bordel, faut faire quelque chose. Cinq minutes debout dans une voiture sur des rails c'est ça qui n'est pas concevable.

    Oui, parce que figurez vous que bien qu'on change de moyen de transport pendant les travaux, on ne change pas d'itinéraire, on reste sur les rails. On passe dans les sombres tunnels en taxi-voiture, et ça tangue, et ça bouge, et on a peur pour notre vie.

    Quand on est enfin sorties de cette satanée voiture, mon amie semblait bouleversée, comme si on venait de faire quelque chose de tout à fait incroyable. Elle m'a dit « Je vois, c'est comme ça que tu viens tous les jours au travail ». J'avais envie de lui dire que premièrement, non parce que j'ai encore quatre autres changement à faire après cette ligne, et deuxièmement, non parce que d'habitude il y a un vrai métro. Là, ça ne fait qu'une semaine qu'on se tape la voiture. Mais jamais elle ne me croira, alors je ne lui ai pas dit.

     Février 2015

     

    Premier secours

    (le mafioso)

     

    Un jour, alors que je me promenais dans la rue, j'ai vu un homme étalé sur le sol au beau milieu du trottoir. Les gens circulaient autour de lui sans sembler s'en soucier, comme s'ils ne l'avaient même pas remarqué. Sa présence à cet endroit, avec sa face aplatie contre le bitume, paraissait pour tout le monde tellement naturelle que je l'ai moi-même ignorée au début. Puis, quelques mètres plus loin, je me suis ravisée. Je venais pourtant de voir quelque chose d'incroyable, mais le climat ambiant d'indifférence générale avait détourné mes pensées. Je me suis sentie mal. J'aurais dû réagir immédiatement, tout comme les autres passants auraient dû le faire en fait. Que se serait-il passé si ça avait été moi, là, inerte sur le trottoir ? M'aurait-on laissé crever sans essayer de me venir en aide ?

    Je me suis donc tout d'abord rapprochée de notre homme, et je me suis baissée pour constater ses maux. Un frisson parcouru mon échine. Il avait reçu une balle dans la jambe droite, laquelle baignait dans son sang. Il me vint alors de funestes pensées : qu'est-ce que cet homme pouvait bien faire dans la vie pour être confronté à de tels dangers ? Je préjugeai qu'il était sans nul doute un truand voire pire, un mafioso, et cela fit frémir de plus belle la personne innocente et banale que j'étais. Mais cet homme était évanoui et personne d'autre que moi n'osait lui porter assistance. J'ai donc mis mon appréhension de côté et pris son pouls. Dieu merci il était vivant; ma joie était immense, je ne saurais dire pourquoi car personne hormis moi ne s'en souciait, mais toujours est-il que je me sentais presque aussi heureuse qu'une mère apprenant que son enfant était sauvé. Avec le maximum de délicatesse et de tendresse possible, je l'ai retourné sur le dos, apercevant pour la première fois son visage. Il avait des traits épais, une tête presque carrée et la mâchoire ferme et virile. Des lunettes de soleil recouvraient ses yeux, de sorte que je n'en vu jamais la couleur, mais je me souviens de son teint mat et de ses cheveux ébènes taillés en brosse. En soit, il n'était pas vraiment beau. Ni vraiment laid. Juste un cliché de mafioso, tellement baraqué qu'on sentait ses muscles au travers de ses vêtements. Je le portai avec peine jusqu'à un banc, à l'écart de la circulation humaine de la rue, puis je courrai jusqu'à une cabine téléphonique, tâchant de garder en même temps un œil sur lui, histoire de m'assurer qu'il ne se réveillait pas entre temps ou que quelqu'un n'arrivait pas pour lui faire je ne sais quoi. Je composai le premier numéro d'urgence qui me venait à l'esprit, ne sachant pas trop s'il s'agirait de la police, des pompiers ou des urgences médicales. Au bout de quelques signaux sonores, quelqu'un décrocha enfin, et avant qu'il n'eut le temps de dire quoique ce soit, je bafouillai quelque chose d'obscure, cherchant à savoir quel était la profession de mon interlocuteur. C'était la police. Pas le bon numéro, mais tant pis. Je lui expliquai rapidement la situation, le priant de m'accorder son aide. L'homme à l'autre bout du combiné me dit quelques mots rassurants, et m'avertit qu'il allait m'envoyer quelqu'un. Je raccrochai puis me dirigeai vers le blessé. Il s'était déjà réveillé, et tentait de se lever. Je ne sais pas ce qui m'a pris à ce moment de lui dire :

    "Ne bougez pas monsieur, la police va arriver".

    Son visage se tordit d'un mélange d'effroi et de colère. "La police ? répéta-t-il, me dévisageant comme si j'étais folle ou possédée ou un peu des deux. "Vous avez appelé la police ?"

    - Oui, pour vous aider.... Enfin pas forcément la police, mais les pompiers, les urgences...

    - Il est hors de question que la police vienne ici.

    - Mais c'est trop tard... Restez, il ne vous feront rien, ne vous poseront aucune question, ils vont juste vous soigner, car si vous restez comme ça vous allez continuer à perdre du sang et...

    - Je pars". A ces mots, il se leva pour de vrai. Dans un geste désespéré, je me jetai sur lui pour l'immobiliser.

    "Non ne partez pas ! Je ne veux pas que vous mourriez !"

    A ce moment précis, je me mis à éprouver une peur sans nom, une peur effroyable qu'il lui arrive quelque chose de mauvais. Je ressentis à nouveau en moi cette impression d'être une mère craignant que son enfant ne se mette en danger. Je sentais son cœur battre sous le mien, et cette sensation me rassurait, car cela signifiait qu'il était vivant et qu'il était toujours là, sur ce banc, que j'avais pu l'empêcher de fuir. Je voulais à tout prix le retenir de partir, comme si ma vie entière en dépendait. Il me semblait que je n'étais née que dans ce but, celui de retenir cet homme, de lui permettre d'accéder à des secours. Mon existence ne se résumait finalement qu'à en sauver une autre. Je n'avais plus peur de son potentiel état de mafioso, il pouvait me tuer s'il le voulait, j'étais devenue sa chose, ma seule crainte était qu'il mette sa propre vie en danger. Je dédiais l'essence de mon être à cet être ni beau ni laid, à cet inconnu au passé obscur. Je sentis son corps remuer sous le mien; il essayait de partir. Alors soudain, sans réfléchir, dans un élan fiévreux de folie, désireuse de le garder sur ce banc en attendant l'arrivée de la police, mes mains encerclèrent sa tête et poussèrent son visage vers le mien. Quelle dut être sa surprise lorsqu'il sentit mes lèvres se presser contre les siennes, ma langue rentrer dans sa bouche et mes doigts caresser frénétiquement ses cheveux, ses tempes, son torse. Je ne sais pas ce qui m'a pris de faire ça alors que je n'avais aucune attirance pour lui, mais mon désir de le retenir était si fort que j'aurais pu faire n'importe quoi. J'ai d'ailleurs fait n'importe quoi, justement, et il faut croire que ça a marché, car dès lors il n'a plus bougé d'un pouce. Étrangement, il m'a carrément rendu mon baiser, acceptant ma langue en son sein et bougeant ses lèvres avec les miennes. Je me suis sentie un peu comme une prostituée, à utiliser mon corps pour venir à mes fins, mais je n'y songeai plus, je ne m'appartenais plus, je n'avais plus valeurs ni principes, juste un objectif qui justifiait tous les moyens, celui, bordel, de le garder collé à ce foutu banc. Mais ça n'a pas marché. Je l'ai pourtant laissé me toucher, m'embrasser dans le cou et j'en passe. Rien à faire. Il a quand même finit par vouloir partir, et il l'a fait. Il a baisé tendrement mes paupières puis m'a dit "Les flics vont venir, il faut que je parte". J'ai eu beau m'écrier que je ne voulais pas qu'il lui arrive du mal, que je ne désirais plus qu'une chose c'est qu'il vive, il s'est contenté de me sourire, un sourire teinté de tristesse et de résignation, l'air de dire "je suis plus fort que ça, je ne succomberai pas à ces blessures". Il s'est levé et je suis restée sur le banc, impuissante, avec l'impression que toute l'eau de mon corps se pressait au coin de mes yeux et voulait sortir, je le regardais fixement, je voulais me jeter sur lui pour l'immobiliser à terre mais je n'en avais même plus la force. Ne pars pas, voulais-je lui dire, ne pars pas, ne meurs pas !

    Il s'est tourné une dernière fois vers moi et m'a dit "Nous nous reverrons. Peu importe le temps que cela prendra, nous nous reverrons. C'est certain. Nous sommes destinés à nous revoir".

    Quelque chose me disait que nous allions effectivement nous revoir. J'ai fait confiance à ses paroles et l'ai laissé partir. Si nous devions nous revoir, cela signifiait qu'il n'allait pas mourir, et donc que tout allait bien.

    C'est fou comment en à peine cinq minutes, cet homme avait réussi à me rendre aussi accro à lui, aussi dépendante, lui qui n'était ni beau, ni laid, dont je ne savais absolument rien. Il aurait pu être gentil, il aurait pu être méchant, aucun des deux ou au contraire un mélange savant des deux, comment aurait-je pu le savoir ? Il était parti. Et à présent j'étais incapable de vivre sans lui, sans penser à lui. Ma vie allait se transformer en une attente, en une aspiration de mon corps au sien.

    Lorsque la police est arrivée, c'est une jeune fille seule et rêveuse qu'ils ont trouvée sur le banc, la chemise entrouverte et les cheveux ébouriffés.

     Février 2015

     

    Vénus sortant des flots

    (l'Aphrodite)

     

    Ma petite sœur – je ne sais depuis quand j'ai une petite sœur – a, semble-t-il, toujours adoré faire des massages. Mais les massages de ma sœur ne sont pas comme ceux que l'on a l'habitude de pratiquer ou de recevoir. Il s'agit de techniques d'une école spécialisée dans un type très particulier de massage (et dont j'ai oublié le nom, vous m'en excuserez), qui consiste à toucher des points cardinaux pour nous soulager de nos maux. Pour ce faire, ma sœur demande au patient de revêtir une robe spéciale à la douleur que l'on souhaite atténuer, ou au bien être que l'on souhaite acquérir (on ne demande pas toujours un massage parce qu'on a un problème!) comportant des points blancs en des endroits stratégiques. Elle relie ensuite ces points sur l'habit grâce à un stylet spécial, qui laisse au passage des traits blancs semblables à ceux que laisserait une craie blanche, et l'ensemble du passage du stylet sur le corps ainsi que le toucher des points cardinaux est supposé nous soigner ou du moins augmenter notre confort. Elle utilise parfois aussi cette technique directement sur la peau, et dans ce cas elle le fait par le biais d'un stylo bleu : elle me l'a fait une fois sur le visage, j'eus l'impression d'avoir des tatouages tribaux pendant une journée.

    Un jour, lorsque je me suis levée le matin, ma petite sœur est venue m'annoncer que notre grand-mère était venue chez nous pour un massage. Je ne me souvenais guère d'avoir une grand-mère, et encore moins une grand-mère aussi... épaisse. En effet, quand je suis allée dans le salon, ce n'est pas un être humain que j'ai vu, mais une espèce de monstre rond et gras dont la tête se fondait avec le corps, ridé comme pas deux, et pire encore, avec des iris et des pupilles blanches et le blanc de l’œil noir. Habituée aux choses extraordinaires (comme ce mafioso que j'avais sauvé peu de temps auparavant, ou cette gamine maigrichonne à la coupe au carré façon Dora l'exploratrice qui était apparue dans ma vie il y a quelques semaines et qui s'adressait à moi comme à sa sœur, tant et si bien que j'avais dû finir par l'accepter en tant que telle bien qu'elle me répugna), je ne fis pas de commentaire et me contentai de saluer cette chose, lui signifiant ainsi que je la reconnaissais éventuellement comme ma grand-mère. Elle s'installa lourdement sur notre pauvre canapé (je vous jure, elle devait faire trois fois ma taille en diamètre – oui, on parle bien de diamètre pour une boule) et revêtit la robe (ou plutôt le drap au vu de la taille) que ma détestable petite sœur lui avait confectionné, robe d'un vert mêlé de bleu et couvert de petits points blancs - pour le massage, comme je l'expliquai naguère. Elle s'empara docilement de son stylet et commença à relier les points. Je la regardai faire, mi-curieuse mi-blasée, échangeant parfois quelques mots avec elle et la vieille. J'avais envie de lui dire que ce qu'elle faisait était laid, n'avait aucun sens et ne servait à rien. On ne soulage pas les maux ainsi. Moi j'aurais bien aimé que ses dessins à la craie me permette de pallier au manque qui avait précédé le départ du mafioso dont je ne connaissais même pas le nom. J'aurais bien aimé que ses jolis dessins sur un tissu couvrant mon corps me fasse oublier ma solitude. Car c'était à la fois laid et beau, cette façon qu'elle avait de peindre nos corps, directement sur la peau ou à travers un vêtement. Ses mains étaient belles, à virevolter sur la chair. Mais elles étaient laides, ces deux là, à se prétendre de ma famille alors que je n'en avais plus depuis que j'avais changé de monde. Il n'y a rien de plus cruel que de profiter de la perte de repères de quelqu'un pour se prétendre son parent (évidemment qu'elles n'étaient pas de ma famille, je suis certaine de n'avoir jamais eu de sœur, mais comment le prouver ? Je n'avais personne à qui me raccrocher en arrivant ici, juste des souvenirs d'un frère, de parents aimants, et il semble même que j'étais mariée avec des enfants...).

    Elles se mirent à parler entre elles, je les écoutais, et cela me mit hors de moi. Devant moi, elles étaient en train de m'inventer une enfance, des parents que je n'avais pas, un caractère qui n'était pas le mien. J'ai attrapé la robe du monstre et je l'ai tirée, elle semblait épaisse mais devait en fait être fine, car elle s'est déchirée entre mes mains.

    « Tu es impure, souillée par la haine, c'est pour ça que le tissu s'est rompu ! Seule une personne au cœur pur peut la toucher sans dégât » me cria ma petite sœur.

    Impure, moi ? Tu t'es vue, connasse ? Et le monstre là, tu vas me dire qu'il est plus pur que moi ? Tu es folle, avec tes croyances primaires, ta superstition astrologique, à penser que relier des points blancs comme des étoiles dans une constellation pourrait enlever la douleur. Ma douleur à moi est plus forte que ça. Tellement puissante que tu ne l'as jamais remarquée. Tu ne m'as jamais demandé si j'allais bien, si j'allais mal, soit tu t'en fous, soit tu es trop bête ou indifférente pour remarquer que je souffre. Je n'ai jamais cessé de souffrir depuis que je suis dans ce monde. Ma douleur à moi est continuelle, rien ne saurait l'arrêter, ni toi ni ta sorcellerie, encore moins ma conscience propre.

    Et soudain quelque chose d'incroyable s'est produit devant nos yeux nos yeux ébahis, à ma sœur et moi. Non, en fait je crois que j'étais la seule à trouver ça étonnant, la frangine semblait ne rien y voir d'anormal. La vieille, à présent nue comme un ver, a rapetissé jusqu'à devenir toute petite, comme une poupée glauque (mais elle était encore ronde et grosse comme une boule d'un rond parfait, les rides à part), et elle a prétendu vouloir se faire un sauna. On a changé de lieu, d'espace, de pièce et de temps pour se retrouver dans un endroit qui m'était familier – la cuisine de l'appartement dans lequel j'ai passé mon enfance. Et sur une plaque chauffante au gaz, une casserole remplie d'eau bouillante lui fit office de sauna. Quel spectacle sordide que celui de cette vieille femme nue et monstrueuse formellement se prélassant dans ce fluide brûlant. Il me semble qu'elle chantait ce faisant, et que ses yeux prirent une tournure effrayante, il passèrent par le noir ponctué de blanc au centre puis devinrent blanc, très blancs, avec un cercle noir au milieu, juste un contour noir, chose qu'on ne trouve guère dans la nature. Une boule de graisse pâle cuisant dans de l'eau chaude. Puis elle fit apparaître un verre retourné au milieu de la casserole et monta dessus, comme sur un podium. Elle poussa un cri strident et écarta les bras, exposant son corps de ver luisant à la lumière, et me fixa droit dans les yeux. Le temps d'un instant, je cru apercevoir un coquillage ouvert sous ses pieds, comme dans le tableau de Boticelli. Cette vision, bien que repoussante au premier abord, était en fin de compte assez pittoresque.

    Le lendemain matin, grand-mère n'était plus là. J'ai essayé de redessiner cette scène dans le « sauna », mais rien à faire. Je n'ai pas réussi à saisir tout le grotesque de la situation. Mon dessin avait juste l'air monstrueux, alors que cette Vénus sortant des flots était bien plus que cela. Je ne sais pas si c'était parce que je n'avais pas pratiqué depuis longtemps ou parce que cette scène était trop puissante pour être décrite, que ce soit par le dessin ou l'écriture, mais je n'y suis pas parvenue.

    J'ignore si je reverrais un jour cette Aphrodite. Quelque chose me dit que non. Ce n'est pas très grave, c'est déjà un miracle d'avoir vu une déesse une fois dans sa vie, je ne vais pas exiger une deuxième fois.

    Qui a dit que Vénus devait être jeune et mince ?

    Février 2015

     

    Miaouss

    (le chat qui parle)

     

    J'ai rencontré un grand chat norvégien au pelage brun, dont le front était fiché d'une pièce. Comme Miaouss, le pokémon de la Team Rocket. Nous nous sommes tout de suite bien entendu. Ça m'a fait du bien, moi qui ne sait plus trop où j'en suis. Il parlait et avait beaucoup de répartie; il était bon vivant, comme on dit. Dès lors, il est devenu mon partenaire de vie, mon compagnon de lutte. Miaouss - son nom, tel que nous en avions convenu - était très cultivé. Il connaissait quelque chose sur tout. Nous avions beaucoup de points communs : nous apprécions les mêmes groupes de musique, lisaient les mêmes livres, nous gaussions des mêmes inepties. Très vite, nous sommes devenus inséparables. Je me sentais exister pour la première fois depuis longtemps. Avoir quelqu'un qui nous comprend, ne nous juge pas, nous apprécié pour ce que l'on est... Il n'y a rien, je crois, de plus précieux au monde.Je m'étais inscrite jadis dans un double cursus d'ingénierie et architecture. Pour diverses raisons, j'avais arrêté le cursus d'ingénierie et ne démarrait officiellement qu'en architecture. Mais j'avais souhaité continuer à pratiquer l'art des mathématiques, et demeurait présente à chaque interrogation, chaque contrôle, réalisait chaque exercice et apprenait chaque cours du cursus d'ingénierie. Seulement, cela n'était plus reconnu officiellement, je n'avais donc plus d'obligation quelconque concernant mes notes pour valider mes semestres, et n'aurais jamais de diplôme relatif à l'ingénierie. J'étais donc libre dans mon cursus, j'avais le droit à l'erreur, je ne faisais cela que par désir personnel de faire des mathématiques. Dans l'autre monde, celui auquel j'appartiens de base, ce n'est pas le cas. Mais dans ce monde nouveau, différent du moins, même si il possède ses inconvénients, j'étais en mesure d'assouvir mes projets personnels et mes désirs les plus profonds. Alors je le faisais. Sans procrastiner. Quelle délectation...Je fus alors, à un moment, confrontée à un problème mathématique. Il s'agissait d'un théorème réputé très compliqué dans le domaine des mathématiques. Il était illustré par des images de Corto Maltese et de Tintin dans un monde fait d'astronautes et de colonies extraterrestres. J'avais quelque mal à le comprendre. C'est alors que Miaouss, dans toute sa gentillesse et sa générosité, me guida, me donna la voie, en me disant... Souviens toi, nous avons révisé ensemble. Souviens toi de cette formule. Voici le début de sa démonstration... Souviens toi de la conclusion". Sans me donner la réponse directe, il m'orientait vers le cheminement qui allait m'amener à trouver moi-même mes réponses.

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  • "Papa, réveille-toi", répéta l'enfant une seconde fois.

    William oscilla lentement des paupières. "Qu'y a-t-il, ma chérie ?" murmura-t-il entre deux bâillements. La petite pris un air exaspéré. Sans doute un peu trop, au point d'en faire culpabiliser son paternel.

    - Qu'il y a-t-il ? Il y a que je rentre en sixième aujourd'hui. Les parents normaux accompagnent leur enfant le jour de la rentrée. Mais toi tu n'es qu'un bon à rien.

    -Quoi, maugréa le jeune homme encore un peu endormi, tu voudrais que je t'accompagne c'est ça ? Ben, laisse-moi le temps de m'habiller et de prendre une douche rapide, et je suis à toi...

    - Hors de question. Ca serait vraiment trop la honte si tu venais. Tu bouges pas d'ici. Je rentre chez les grands, moi, je suis au prestigieux collège Henri IV à partir d'aujourd'hui, je n'ai rien à faire avec les gens comme toi. T'es tellement immature."

    Elle prit un air hautain et quitta brusquement l'appartement. 

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  • Juchée dans un coin du ciel à des milliers de lieues de la Terre, la Lune était semblable à une grosse boule de cristal étincelante. Autour d'elle, les rayonnements d'étoiles éparses l'encadraient tels une foule de courtisans acclamant leur Reine. Une brise légère survolait la place de la Mosquée; çà et là, quelques passants tardifs rentraient sans empressement d'un Opéra quelconque. Un couple s'assit mollement sur un banc faisant face à l'édifice religieux, tandis que leur petite fille s'agitait autour d'eux. On aurait dit qu'elle s'émerveillait à mesure que les flocons de neige virevoltaient dans l'air froid et humide. Sans doute était-ce la première fois qu'elle en voyait.

    Soudain, la fenêtre d'un des appartements surplombant la place s'ouvrit, laissant apparaître un jeune homme d'une vingtaine d'années. Le visage livide, le regard éteint, il semblait observer la Mosquée sans vraiment la voir. L'enfant se réfugia aussitôt dans les bras de son père, effrayée qu'elle était par cet homme étrange qui murmurait des paroles inintelligibles en battant des cartes.

    « C'est fini, fini, répétait l'homme, l'air hagard. Ah, quelle naïveté de la part d'un pouilleux, de prétendre atteindre le cœur d'une reine ! ».

    Soudain, le visage illuminé par quelque chose qui s'apparentait à de la folie, il lança toutes les cartes de son jeu par dessus bord. Les as, valets et autres figures se mêlèrent aux flocons en tombant comme eux du ciel à la terre. L'homme monta alors sur le bord de la fenêtre et se laissa basculer comme s'il sombrait dans un profond sommeil. Le couple eut beau essayer de cacher cette scène à leur enfant, il était trop tard. On aurait dit que ses grands yeux bleus perdaient de leur innocence à mesure qu'elle le voyait tomber. Sans doute était-ce la première fois qu'elle voyait un homme répandre ses organes au sol.

     

    I

    Lorsqu'Ali Ayandeh avait poussé pour la première fois la lourde porte métallique du Pendjâb, une odeur âcre de résine l'avait immédiatement pris à la gorge. Il n'avait alors eut qu'une hâte, celle de quitter ces lieux au plus vite. A présent, non seulement il avait fini par s'habituer à l'odeur de l'opium, mais en plus il en consommait lui-même occasionnellement. Il ne pouvait plus compter le nombre de soirées qu'il avait passées là, dans ce même salon de thé, à cette même table, à faire les mêmes parties de carte. Ses habituels voisins de table, qu'il surnommait « les deux Om » en raison de leur prénoms respectifs - Omid et Omar, lui tenaient compagnie tous les soirs depuis qu'il avait quitté l'école pour travailler. Il fut un temps où ils étaient ses amis d'enfance. A présent, ils étaient devenus ses camarades de beuverie. En général, ils commandaient un narguilé pour accompagner l'alcool, ou une pipe à opium pour les grands évènements. Ali rentrait habituellement chez lui vers une heure du matin et se levait cinq heures plus tard pour partir au travail. Il était de ces hommes qui oublient leur peine avec le jeu : ses parties de carte quotidiennes étaient le meilleur remède qu'il avait trouvé à ce jour contre l'anxiété et la lassitude que lui procurait son travail d'ouvrier dans le bâtiment. Retrouver ses amis pour jouer lui donnait la merveilleuse illusion d'être heureux.

    Un soir, alors qu'il rentrait un peu plus tôt que de coutume, ses pas le guidèrent vers la gare sans qu'il n'y prête attention. Il repensa non sans amertume à la querelle qu'il avait eu quelques minutes auparavant avec Omar, avortant leur soirée au beau milieu d'une partie de cartes. Même Omid s'y était mis ! A l'origine, Omar avait clamé haut et fort sa foi pour le roi Reza Khan, ce qu'Ali n'avait pu supporter, étant partisan d'une nouvelle révolution citoyenne. Il avait donc souhaité lui rappeler le nom de tous leurs amis emprisonnés sous les ordres du Shah à cause de leurs opinions politiques divergentes, afin de mettre en évidence de l'aspect peu démocratique de la royauté. Finalement, le patron du Pendjâb, un monarchiste assumé, l'avait expulsé de son salon de thé sans ménagement. A présent, le jeune homme fumait nerveusement une cigarette en évitant soigneusement de se faire renverser par une voiture. A croire qu'il n'y avait pas un seul conducteur dans cette ville capable de conduire à vitesse raisonnable. Arrivé près de la gare, Ali remarqua une jeune femme élégante prostrée sur un banc. Il hésita à aller à sa rencontre : il lui semblait qu'elle pleurait. Mais en quoi cela le regardait-il ? Malgré tout, il tenait à l'observer de plus près : il fallait dire qu'elle était vêtue avec un tel raffinement, une merveille ! C'était bien la première fois qu'il voyait une aussi noble dame dans le sud de la capitale. Il se rapprocha d'elle discrètement, jusqu'à arriver à son niveau. Elle semblait effectivement être en train de se lamenter, à en croire les gémissements qui parvenaient à ses oreilles. Doucement, il s'assit à ses côtés, et hasarda une petite phrase qui se voulait réconfortante :

    « Vous allez bien, madame ?

    • J'ai l'air d'aller bien ? lui lança la femme entre deux sanglots, sans daigner le regarder. Il se sentit honteux et son visage se serait empourpré si la couleur de sa peau le lui avait permis. Il bafouilla donc un mot d'excuse et se leva, prêt à partir. Mais une main s'agrippa à la sienne, tant et si bien qu'il ne put se défaire de cette étreinte.

    « Non, veuillez m'excuser... Ce n'est pas à vous que je devrais m'en prendre. Vous n'y êtes pour rien, après tout. Je vous en prie, ne m'en tenez pas rigueur... »

    Le jeune entrouvrit la bouche sous le coup de la surprise. La femme, qui, jusqu'à présent, avait dissimulé sa tête entre ses bras recroquevillés, lui dévoilait enfin son visage. Et quel beau visage ! Les courbes gracieuses de ses joues ne le laissaient pas moins indifférent que le sombre éclat de ses yeux taillés en amande ou que sa peau d'une clarté et d'une douceur sans pareilles. Il revint alors sur ses pas, partagé entre l'émerveillement et l'ébahissement que suscitait en lui cette apparition presque divine.

    « Je ne vous en veut pas, madame, murmura-t-il du bout des lèvres. C'est ma question qui était idiote.

    • Non, elle était attentionnée. Et j'aimerais vous remercier de vous être préoccupé de moi, alors même que nous ne nous connaissons pas. » Elle tira de la poche de sa veste Chanel un mouchoir en satin sur lequel étaient brodées les initiales « N.D. » en lettres latines, et s'en servit pour essuyer ses larmes en se tapotant légèrement les paupières.

    « Vous savez... reprit Ali. Si vous avez quelque chose de douloureux sur le cœur et que vous ne pouvez garder pour vous seule, vous pouvez m'en faire part. Après tout, je doute que nous nous revoyons un jour. »

    La femme jeta dans sa direction un regard pour le moins surpris.

    « Enfin, euh... Excusez-moi. C'était vraiment déplacé de ma part, balbutia-t-il.

    • Mais non, non... Au contraire, c'est une charmante idée, déclara la femme, soudain ragaillardie. C'est vrai, après tout, nous ne nous reverrons plus. »

    Le jeune homme la considéra avec curiosité. A en juger de par ses vêtements, elle devait être une femme aisée. Très aisée, même. Sans doute était-ce une de ces nobles du nord de Téhéran ? Quoiqu'il en soit, elle était jolie. Elle eut un instant d'hésitation, réfléchissant sans doute à la meilleure façon de faire son aveu. Puis se lança.

    « Figurez-vous que j'ai tué quelqu'un. »

     

    II

    Ali se précipita dans son appartement, encore bouleversé par la confession qu'on venait de lui faire. Quelle femme ignoble et démoniaque ! Cela ne l'aurait pas étonné si on lui avait dit que le Sheitan lui-même la possédait : nul besoin d'être religieux pour le croire. Il se souvenait encore avec précision de la moindre de ses paroles, de ses mimiques, de ses sourires. Oui, elle avait souri en lui faisant ce terrible aveu. Un sourire triste, certes. Mais un sourire tout de même. Cela l'avait déconcerté, horriblement troublé, et il était parti sans se retourner, malgré les supplications de la dame. Voyant qu'elle le poursuivait, il avait couru de plus belle puis s'était jeté dans le premier taxi venu. Il avait finalement réussi à lui échapper de justesse, et à présent il était là, chez lui, à trembler de tout son corps en repensant à ce bref échange. Sans allumer la lumière, il se dirigea à tâtons dans sa chambre à coucher et extirpa d'une petite boîte posée sur sa table de chevet une substance noirâtre qu'il enfourna dans une pipe. De l'opium, rien que ça. Il en avait foutrement besoin.

    Ses tremblements cessèrent après quelques bouffées seulement. Mais son esprit était encore torturé par sa rencontre de tantôt. Il lui fallait une manière plus efficace de se changer les idées. Un jeu de cartes, par exemple ? Il se rappela de la dispute qui lui avait perdre deux amis d'un coup. Non, pas des cartes. C'est douloureux, de penser à des cartes, quand ça nous remémore de mauvais souvenirs. Mais il préférait encore se souvenir d'une simple querelle que de songer à une sombre affaire de meurtre. Il sortit donc les cartes de leur boîte et les étala devant lui; l'une d'entre elles se démarqua du tas en glissant de la table. Il se pencha pour la ramasser puis la positionna au niveau de ses yeux : la Reine de Cœur. Il frémit. La jeta à l'autre bout du canapé sur lequel il était avachi. La Reine de Cœur. C'est fou ce qu'elle lui ressemblait, à cette femme, avec ses grands yeux noirs et ses bouclettes brunes. Une Reine de Cœur cruelle, comme celle du roman de Caroll ? Ses tremblement reprirent de plus belle. Il aspira de grandes bouffées d'opium puis se redressa.

     

    « Pour se débarrasser d'un problème, il faut lui faire face. On ne résout jamais rien en se défilant », songea-t-il. Il se pencha alors vers la carte, la toucha du bout des doigts. Se rétracta aussitôt. « Je ne peux pas, je ne peux pas... » Des larmes perlèrent au coin de ses beaux yeux verts. Il s'endormit aussitôt, noyant son sofa de sanglots.

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    L'autre jour, un enfant au visage rond comme celui d'un poupon m'a demandé, avec toute l'innocence caractéristique de son âge, pourquoi est-ce que les Hommes

     

     

     

    Me voilà donc aujourd'hui au même point qu'hier; les générations futures pourront dire que j'aurai porté la fatalité sur mes épaules du berceau à la tombe. Enfin, je dois tout de même avouer que néanmoins, je trouve plus de plaisir à réparer les tricycles de mes petits enfants que les voitures de mes anciens clients.

    Cette vie laborieuse, tant physiquement que mentalement, m'aura au moins appris quelque chose : si, ma vie durant, j'ai cherché à être aimé, à avoir des preuves de cet amour, et si, pas seulement moi, mais des milliards d'autres personnes ont agit de même, c'est parce qu'il règne un flou sur chacune de nos existences.

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  • A puff on a cigarette. A last one. The ultimate. How does it starts...

    I used to live in a fantastic family. Not a nuclear family, rather a spiritual one. You know, that kind of family. The one that you'd never want to leave. We were very numerous. There was Catfold, our sweet grandma. There were young Kol and old Jory, y'know, those two were kinda inseparable. There were also Jan, Christ, Qina, Udwig, Gulwo and Merisa. And there was me. We couldn't live without each others. That was just impossible, 'cause we were always all together. Eating together, hanging out together, working together, sleeping together... Living together. Those were the days, y'know, the happiest days of my entire life. I can't remember how it was before I meet them.

    That was a community, my community, a happy and pretty community in which we were truly happy. We really used to like each others.  We were united. We lived together, we never thought about death. Until this fateful day.

     

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